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Marre du rose

Vous l’aurez peut-être remarqué (surtout si vous suivez notre compte Instagram), on a développé une légère obsession pour Ilya Green depuis qu’on a découvert sa version du Petit Chaperon Rouge édité par Le Père Castor. Un vrai coup de coeur pour ces illustrations sensibles, délicates, dénuées de toute mièvrerie. Pour notre plus grand plaisir, Ilya Green est extrêmement productive, et on aurait pu vous parler des magnifiques albums qu’elle a illustrés pour Stéphane Servant (Le Masque, Nos Beaux Doudous), de ses irrésistibles petits albums qu’elle a écrits et illustrés chez Didier Jeunesse (Strongboy, le tee-shirt de pouvoir, Sophie  et les petits salades, Les Pestacle, etc.), des adorables aventures de Lilo découvertes récemment (avec Bernard Friot, chez Albin Michel Jeunesse) ou encore de la série des Bulle et Bob… Mais j’ai plutôt décidé de parler d’un album un  peu à part, car il rencontre des préoccupations qui me taraudent beaucoup, et que je ne sais pas toujours comment aborder: la définition de la norme par le genre.

 

Disons-le tout de go: Marre du Rose n’est pas forcément l’album le plus représentatif de l’univers d’Ilya Green. Il est peut-être moins délicat ou poétique, peux-être moins onirique ou doux, plus sombre même. Mais il témoigne de son incroyable capacité à peindre une enfance hors des clichés et des sentiers battus. Ses enfants, filles et garçons, sont particulièrement réalistes malgré la technique, les traits noirs et les aplats de couleur. On retrouve son travail sur les motifs et les végétaux, dans un style plus franc. Ses enfants sont toujours en mouvement, dans l’action ou l’observation active, plein d’énergie, et même d’insolence. Comme des enfants, en somme. C’est d’autant plus frappant dans les attitudes et les postures de la petite fille que l’on traite de garçon manqué, et du petit garçon que l’on juge trop sensible.  Mais qu’ils sont beaux et intenses, ces enfants aux grands yeux noirs et aux joues rosées.

"Marre du Rose" de Nathalie Hense et Ilya Green

L’héroïne de l’album nous rappelle que la norme est une prison. Elle met des barrières, crée des inhibitions, et prive d’épanouissement tous ceux qui voudraient en sortir.

Le langage lui-même peut devenir un piège. A longueur de temps, on le lui répète: c’est un garçon manqué. Un garçon manqué! Comme si elle était un échec, un ratage, une erreur de la nature. La petite fille s’insurge avec une justesse et une sagesse dont manquent bien des adultes : elle n’est certainement pas un garçon manqué, et assurément une fille réussie.

"Marre du Rose" de Nathalie Hense et Ilya Green

Une fille qui fait ce qui lui plait, comme son copain Auguste qui aime coudre des vêtements pour ses poupées-garçons, même si coudre, « c’est un truc de fille ». Le récit progresse à la première personne, on est en quelque sorte dans la tête de l’héroïne, qui nous fait part avec une intelligence émotionnelle incroyable de sa vision des stéréotypes filles/ garçons: « J’ai joué avec lui, et du coin de l’oeil, je l’ai bien observé. Je n’ai pas trouvé que c’était une fille manquée, une sorte de moi à l’envers. C’est un vrai garçon. » Je pourrais citer tout le livre tellement il est juste, mot après mot.

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Moi je n’ai rien contre le rose, je l’aime plutôt bien, et si j’avais une fille, et qu’elle voulait mettre du rose, je veillerais juste à ce qu’il n’y ait pas d’overdose (de rose), et que tout l’arc-en-ciel ait droit de cité dans son placard. Nos deux garçons, on essaie de les élever en leur apprenant qu’ils peuvent être ce qu’ils veulent. Que leurs copines peuvent être ce qu’elles veulent. Et que c’est en partie de leur responsabilité de laisser les autres être ce qu’ils veulent, avec bienveillance. Que le spectre des possibles doit être infini. Qu’on a tous le droit, voire le devoir de s’élever contre la dictature du rose et du bleu. Ras-le-bol des stéréotypes, d’autant que c’est une lutte permanente, à l’école, dans les magasins, à la télé, au cinoche, et heureusement pas trop dans les livres, parce que là on y fait attention!

Bref, voilà un petit livre salutaire, à mettre en toutes les mains, filles, garçons, parents, enfants, profs, fabricants de jouets (on commence par là?), éditeurs… Vive les poupées vertes et les tracteurs violets!

Marre du rose, de Nathalie Hense et Ilya Green, édité par Albin Michel Jeunesse dans la collection Panda Poche ( 2008, réédité en 2014)

 

NB: la qualité pas mal pourrie de mes photos ne rend vraiment pas juste aux illustrations, j’en suis fort marrie. 

PS: on participe à la chouette initiative « Chut, les enfants lisent » de Devine qui vient bloguer?

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